L'imparfait du féminin
Quand les séries convoquent de nouvelles représentations féminines parfaitement imparfaites.
Dans ce nouveau flot de pensée, je vous parle du personnage féminin imparfait dans les séries TV. L'occasion de voir (ou de revoir) Girls de l'américaine Lena Dunham et de parler de Nobody want this et de Miskina la pauvre.
On y va ? C'est parti !
Fleabag, Nobody want this, Miskina la pauvre : des séries sous forme de récits modernes de femmes en lutte avec leur identité, leurs relations humaines, amoureuses et les attentes sociétales, voire les pressions sociales.
La fin de l’idéal de la perfection féminine
Avant des séries comme Girls (HBO), de la réalisatrice Lena Dunham en 2012, les représentations féminines dans les médias sont souvent idéalisées : les femmes à l’écran sont blanches, belles et, surtout, conformes aux attentes sociales. Elles jouent des rôles de femmes parfaites, qu'il s'agisse de mères, épouses, ou travailleuses, incarnant des modèles auxquels la société demande aux femmes de se soumettre. Cette perfection a longtemps dominé la télévision et le cinéma.
Lena Dunham, Adam Driver, Girls (HBO)
Avec Girls, Lena Dunham a bouleversé ces représentations en montrant des femmes jeunes et leur quotidien new-yorkais parfois brute et nature, qui s’aiment autant qu’elles se disputent, cherchent du travail mais pas vraiment, expérimentent l’amour et le sexe, vivent des situations roller coaster aussi excitantes qu’humiliantes, et sont profondément vulnérables. Ce changement de ton, après la saga Sex and The City, a permis d’ouvrir la voie à des récits plus nuancés et honnêtes, où l’imperfection n’est plus stigmatisée mais devient une facette essentielle de l’expérience humaine.
« They’re your girlfriends and daughters and sisters and employees. They’re my friends and I’ve never seen them on TV. » Lena Dunham
Trois séries, une nouvelle vision de la femme imparfaite.
Dans Fleabag (2016, Prime Video), le personnage principal, joué par Phoebe Waller-Bridge (également auteure et productrice de la série), est en lutte avec ses propres démons. Son rapport à la sexualité, à la religion et à la famille est marqué par une culpabilité permanente et des tentatives répétées d’autodestruction. Un portrait honnête et non-édulcoré d’une femme qui marque une rupture totale avec les représentations idéalisées à laquelle le cinéma ou la télévision nous avait habituées. Fleabag raconte une histoire où la femme est à la fois drôle, blessée, et sexuellement libérée, tout en faisant face à des sentiments complexes (le deuil de sa mère, le suicide de sa meilleure amie, un amour impossible).
Joanne, incarnée par Kristen Bell dans Nobody Wants This (2024, Netflix), est une femme de 40 ans, célibataire, indépendante et cynique. Elle porte l’armure de la femme forte et décomplexée, un brin excessive, sous les traits d’une animatrice de podcast, business en devenir qu’elle partage avec sa soeur (jouée par Justine Lupe-Schomp découverte dans Succession). Contrairement aux représentations idéalisées des femmes dans les séries passées, Joanne ne cherche pas à se conformer aux normes sociales mais plutôt à naviguer entre son expérience des relations amoureuses, ses valeurs, ses attentes et celles de son amoureux, rabbin libéral tout juste séparé. Jusqu’à faire preuve de naïveté, ou d’une forme de crédulité qui la fait passer pour une idiote allant parfois jusqu’à frôler le mépris - lorsqu’elle débarque à la synagogue sans crier gare, ou apporte un plateau de charcuterie à un déjeuner avec sa belle famille - mettant en valeur son statut de femme libre et agnostique au détriment des femmes juives de la série qui elles prennent les traits de femmes caractérielles et sectaires (une expérience dont on dit qu’elle est tirée du vécu de la scénariste). Bien que leur relation soit légèrement caricaturale, elle confronte, à l’heure post #metoo, deux personnalités aux parcours opposés, en quête d’une relation saine - voire mièvre - offrant une place au coup de foudre et à l’amour quoiqu’il en coûte. Dommage que les dialogues ne soient pas toujours à la hauteur de cette romance.
Dernière série m’ayant interpellée sur le personnage de la femme imparfaite : Miskina la pauvre (Prime Vidéo, 2022 & 2024) - dont la saison 2 semble confirmer les promesses d’une saison 1 déjà plébiscitée par son audience - ajoute une perspective encore plus nuancée, liée à la double pression des attentes sociales et culturelles dans une France en mal d’identité.
Fara (Melhia Bedia), la trentaine, française d'origine maghrébine, vivant toujours chez sa mère, tente de trouver un sens à sa vie personnelle. Farah n'est ni parfaite ni épanouie ; elle est bloquée dans une crise existentielle entre sa famille, son beau-frère influenceur converti, ses deux amoureux et son indépendance, paralysée par l’amour, le sexe, les émotions, et qui interroge au milieu de tout ça, sa spiritualité et les présentateurs TV de son enfance. Tout cela étant traité avec l’humour décomplexé de la comédienne et d’une nouvelle génération de talents (Hakim Djemili, Victor Belmondo). Dans Miskina la pauvre, l’imperfection de Farah - sa personnalité, son manque de féminité, ses choix amoureux - n’est pas jugée mais plutôt célébrée.
Melha Bedia, Miskina la pauvre, Amazon
Ce que cela dit de la place de la femme imparfaite aujourd'hui
L’imperfection féminine, qui était autrefois une faute de goût, est désormais une force narrative. Au delà des personnages, ces séries exposent par ailleurs une nouvelle génération de comédiennes et de réalisatrices à l’opposé des archétypes rigides et bien pensant de beauté et de perfection. Elles s’affranchissent des règles que leur imposent un milieu on ne peut plus masculin, donnent vie à des personnages qui se construisent avec leurs paradoxes, “libres” de commettre des erreurs, de lutter avec leur identité, de vivre leur sexualité sans être jugées (ou presque). Cette évolution post-Girls met en avant l’idée que la perfection est non seulement irréaliste quand il s’agit de refléter la société contemporaine, et finalement peu intéressante d’un point de vue narratif. On n’y croit plus.
En mettant en scène ces “héroïnes imparfaites”, les auteures de ces fictions projettent leurs propres imperfections et celles de leur génération, qu’il s’agisse des incertitudes professionnelles et relationnelles, des doutes existentiels, ou des conflits avec les attentes familiales et sociétales. Elles incarnent une nouvelle réalité dans laquelle la vulnérabilité et l’échec ne sont plus honteux, mais des expériences universelles. La fragilité, le manque d’estime de soi et le mensonge sont exposés comme une norme qui convoque leur part d’ombre, comme les vergetures sur nos cuisses non retouchées.
La quête de perfection n'est plus la norme : l'imperfection et la complexité des personnages féminins sont désormais au cœur des récits contemporains, reflétant une société plus ouverte à la diversité des expériences féminines. Et à leur vérité.
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