Bonjour, comment allez-vous ?
Dans ce flot de pensée, nous allons parler de réussite, d’aller vivre en Patagonie, d’injonctions et de Mona Chollet.
Ça vous dit ? C’est parti !
Vous arrive t-il parfois de vous demander pourquoi vous vous entêtez à vouloir réussir à tout prix tout ce que vous entreprenez, quelque soit le domaine ?
Que l’échec n’est pas une option. Qu’il faut aller toujours plus loin, plus haut. Réussir à maîtriser notre vie, notre famille, notre couple, notre travail, notre endurance, notre jeunesse.
C’est ce que j’ai ressenti plus jeune, puis pendant mes études et tout au long de ma carrière. Réussir, ne pas ménager ses efforts, accepter l’inconfort, donner sans recevoir, gravir les échelons, travailler dur, faire des longues journées qui se transforment parfois en soirée, en charrettes, faire du sport, mincir, manger bien, manger mieux, partir en vacances.
Ne pas compter ses heures sous prétexte d’être passionné.e, gagner 1 client, 2 clients, 10 clients, challenger ce qui ne fonctionne pas, trouver de nouvelles idées chaque jour, conquérir de nouveaux territoires, développer de nouveaux produits, avancer sans regarder derrière, aller chercher les enfants à l’école, préparer le petit déjeuner, le diner, les affaires de piscine.
Organiser nos 10 ans de mariage, partir en vacances entre amis, faire la liste de courses, emmener les enfants chez le médecin, partir en séminaire avec la boîte, trouver une nouvelle baby sitter, se mettre au yoga, aller à la salle de sport, vérifier les devoirs, faire +10% cette année…
On n’avait pas vu a négligé la famille qui s’inquiète, les amis que l’on ne voit plus, le manque de sommeil, le nombre de repas sautés, les heures derrière l’ordinateur, les semaines de sept jours, les négociations qui n’en finissent pas, les charges, les contraintes, les clients relous, les problèmes de production, la concurrence, l’inflation, la charge mentale, le couple qui part en déconfiture, les copines et leur cancer du sein…
Je continue ?
Qu’est ce qui nous pousse à toujours vouloir plus ? Quelle est notre conquête ? Qu’avons-nous à prouver ?
Selon Santé Publique France, en 2021, les 18-24 ans, les femmes, les personnes vivant seules et les familles monoparentales, tout comme celles qui ne se déclaraient pas à l’aise financièrement, au chômage et celles indiquant que la Covid-19 avait eu un impact négatif sur leur moral, avaient un risque d’épisode dépressif plus élevé.
Moralité : quand on est une femme seule avec des enfants, tout porte à croire que non seulement nous serons amenées à trouver des solutions, à être moins bien rémunérée que notre ex-conjoint ou notre collègue à poste équivalent, mais qu’en plus de la charge mentale, nous allons être confrontées à la charge émotionnelle de nos enfants et à la nôtre. Et à notre culpabilité.
Pourquoi je ne suis pas capable de…
Pourquoi je n’ai pas réussi à…
Pourquoi lui et pas moi…
Si j’ai la chance de ne pas être confrontée à cette situation, je mesure à quel point il est difficile aujourd’hui pour une femme de vouloir pouvoir tout quitter pour partir vivre en Patagonie et ouvrir un coffee-shop.
Alors, à défaut de partir vivre à l’autre bout du monde, trouvons une réponse à la culpabilité et imaginons de nouveaux possibles.
Dans son nouvel essai “Résister à la culpabilisation. Sur quelques empêchements d'exister”, Mona Chollet opère une réflexion profonde et incisive sur les mécanismes intérieurs de l'autoculpabilisation (en illustrant le sujet avec des cas, et parfois même au prisme de son vécu). Elle révèle la manière dont des forces historiques, culturelles et sociales (hello le patriarcat et les inégalités, bonjour les crises sanitaires) façonnent notre rapport à nous-mêmes. Elle engage une analyse politique et psychologique qui relie nos dynamiques intimes (= cette petite voix intérieure qui nous rabaisse) à des éléments de contextes collectifs.
La culpabilité intérieure : un héritage culturel et social
Mona Chollet met en lumière l'omniprésence de la culpabilité dans notre quotidien, un fardeau qui, loin d'être un simple mal-être individuel, trouve ses racines dans des structures de pouvoir et d'oppression profondément ancrées dans notre société. Spoiler : cette autocritique incessante prend une ampleur particulièrement forte chez les individus appartenant à des groupes dominés, tels que les femmes, les enfants, ou les minorités sexuelles et raciales.
Une tyrannie intérieure et des mécanismes extérieurs
L'essai de Chollet explore les nombreuses formes que prend cette culpabilité : des mères perpétuellement jugées sur leur rôle, des victimes de violences sexuelles qui se voient renvoyer une image d'impureté (cf. le procès de Gisèle Pelicot et les mots indécents de la partie adverse), ou encore des travailleurs valorisés uniquement par leur productivité. Ces pressions sont la manifestation de ce que l'autrice appelle des « pouvoirs qui s'insinuent dans l'intimité de nos consciences ». En effet, la culture patriarcale, le culte du travail et les résurgences punitives dans les milieux militants sont autant de forces qui forment cette tyrannie personnelle, nous maintenant dans une logique de faute et d'expiation.
Vers une libération intime et politique
Et si nous allions à la rencontre de « la conviction de notre légitimité, de notre valeur et de notre innocence fondamentale » ? Mona Chollet ne se contente pas de diagnostiquer cette dynamique d'autodestruction : elle ouvre des perspectives pour s'en libérer et appelle à une réconciliation avec soi-même. Ainsi affranchi.e de la culpabilisation, nous pourrons revendiquer notre place sans devoir nous justifier ou prouver notre valeur. L’auteure mesure toutefois ses propos : elle demeure consciente, et certaines de ces interlocutrices également que le monde n’est pas parfait : nous ne sommes pas des bisounours.
Car cette exploration de la culpabilité intime n'est pas déconnectée des enjeux sociaux plus larges : notre “travail” de déculpabilisation va nous demander du temps et de l’énergie, et parfois, même souvent, nous n’y parviendrons pas. C’est en cela que la révolution intérieure suggérée par Mona Chollet s’inscrit dans un projet politique global : celui de déconstruire les systèmes oppressifs qui asservissent non seulement les corps, mais aussi les esprits. C’est en acceptant nos paradoxes et nos erreurs de jugement et en nous réappropriant notre oxygène mental et notre dignité individuelle que nous nous réparerons, pour ensuite être en mesure de réparer l’injustice (la théorie du masque à oxygène !).
Mona Chollet pousse les portes d’une critique puissante - en passant par sa propre auto critique - des structures patriarcales et néolibérales. Celles-là même qui nous poussent à l’autodiscipline (Il faut, je dois) ou à l’autocensure (Je ne peux pas, je ne suis pas capable).
La voici qui dessine un chemin vers le scénario d’une émancipation intime comme un levier d’impact pour faire avancer la société. Une chose est sûre : à défaut de sauver le monde, au moins nous nous serons sauvées nous-mêmes. Rendez-vous en Patagonie.
Résister à la culpabilisation. Sur quelques empêchements d'exister.
Mona Chollet, Zones.
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Mille mercis pour cette lecture de ce livre qui semble passionnant...et d'utilité publique. Je suis en pleine réflexion sur "qui je suis hors des diktats de la société". Le chemin vers la découverte et l'acceptation de soi est un chemin pavé de doutes et de culpabilité. En avoir conscience et prendre du recul est effectivement la 1ere étape.